
Prêts corona: emprunter pour survivre ou pour mourir?
Qu’est-ce qui est le plus efficace: donner de l’argent pour aider une entreprise à passer le cap de l’épidémie ou dépenser la même somme lorsqu’elle aura coulé?
Pas le choix. C’est ainsi que des dizaines de milliers de petites entreprises en mal de liquidités ont dû recourir aux emprunts cautionnés par la Confédération. En fin de semaine dernière, on ne comptait pas moins de 76 000 cas traités pour quelque 14,3 milliards de francs. La moyenne de ces prêts est de 188 000 francs. Cette opération orchestrée par les banques suisses a été considérée comme un succès, en tout cas sur le plan technique.
Un gros loyer en plus par mois
Bien entendu, l’emprunteur va devoir rembourser cette somme et ce dans les cinq ans. En-dessous de 500 000 francs, ce prêt est sans intérêt (la première année en tout cas). Il lui reste à amortir le prêt sur 60 mois. Pour la somme moyenne de 188 000 francs, cela représente plus de 3000 francs par mois de charge durant cette période, soit l’équivalent d’un gros loyer. Proportionnellement, celui qui aura emprunté 60 000 francs paiera 1000 francs par mois. Pour l’entreprise qui aura emprunté 500 000 francs, le remboursement du prêt représentera l’équivalent d’un salaire à plein temps versé pendant cinq ans.
L’équivalent de milliers de postes de travail
Vendredi dernier, Guy Parmelin a annoncé que l’enveloppe globale du cautionnement allait passer de 20 à 40 millards de francs. Si les entreprises utilisent l’entier de cette somme, cela représentera quelque 666 millions de francs de remboursement par mois pour les entreprises suisses! Soit l’équivalent de 13 320 postes de travail.
Nul peut prédire à quelle hauteur
Pour bon nombre d’entreprises solides, cette charge va pouvoir être digérée avec le temps au prix de quelques sacrifices, mais pour d’autres, plus petites et déjà fragiles, le jeu risque de ne pas en valoir la chandelle. Notons qu’une grande majorité des emprunteurs n’avaient pas de dettes avant de contracter un «prêt corona». En cas de défaut de paiement, c’est la voie ouverte à la faillite. Une fois, le débiteur failli en bonne et due forme, la Confédération devra honorer son cautionnement auprès de la banque prêteuse. Nul ne peut prédire à quelle hauteur elle devra ouvrir son porte-monnaie dans les années à venir.
Aider avant ou après?
C’est ici qu’on peut poser la question – que de nombreux économistes ont mis sur la table (dont Jean-Pierre Danthine, ex-vice-président de la Banque nationale suisse) – ne vaudrait-il pas mieux aider des entreprises à fonds perdu (tout ou en partie) plutôt que de boucher les trous des faillites qui ne manqueront pas d’arriver?
Dans quel cas l’argent est vraiment perdu?
Pour le conseiller fédéral Guy Parmelin, il n’en est pas question, c’est «irréalisable» a-t-il martelé. Ici, il semblerait qu’il y ait un blocage avec cette expression «à fonds perdu». En Suisse, par un principe intangible, on «ne donne pas» de l’argent, qui plus est de l’argent public. Et pourtant, qu’est-ce qui serait le plus efficace: donner de l’argent pour aider une entreprise à passer le cap de l’épidémie ou dépenser la même somme lorsque celle-ci aura coulé pour rembourser une banque?
Débat aux Chambres au début mai
«Si les entreprises n’ont pas cet argent, elles ne survivront pas. Il est préférable d’avoir quelques dettes de plus, plutôt que de mourir», a défendu le conseiller national Fabio Regazzi (PDC/TI), candidat à la présidence de l’USAM. On verra comment les Chambres fédérales traiteront l’opération inédite des prêts corona. Le sujet a d’ores et déjà été mis à l’ordre du jour de la session extraordinaire du 4 au 8 mai.
Eric Felley